Zooplancton : Ces créatures minuscules qui stockent 65 millions de tonnes de carbone par an sans que personne ne les félicite
Chaque année, pendant que nous rentrons nos plantes vertes pour l’hiver, des milliards de minuscules créatures marines entament une migration silencieuse vers les abysses de l’océan Austral. Leur nom ? Le zooplancton. Leur mission ? Respirer et mourir lentement dans le noir, à des centaines de mètres de profondeur. Et ce faisant, stocker environ 65 millions de tonnes de carbone dans les entrailles de la planète chaque année. Gratos. Sans subvention et pour le moment plus efficace que la carbon capture and storage ou CCS : Le volume total de CO2 capté et stocké par les installations en fonctionnement en 2023 était de 44,3 millions de tonnes, selon Wikipédia.
Une pompe naturelle qui n'était même pas dans les modèles
L’étude, publiée dans Limnology and Oceanography, nous parle de la "pompe migratoire saisonnière" – un mécanisme aussi poétique qu’efficace. Loin d’être de simples snacks pour poissons, les copépodes (80 % de l’impact carbone), krill (14 %) et salpes (6 %) plongent en automne à plus de 500 mètres sous la surface. Là, leur respiration et leur lente agonie injectent du CO₂ dans l’océan profond. Un stockage longue durée, potentiellement sur des millénaires.
Ce processus vient s’ajouter à la "vision classique" du stockage océanique par enfoncement passif de matières organiques. Sauf qu’ici, on parle d’êtres vivants qui bougent, respirent, meurent… et recyclent même les nutriments, au lieu de les emporter avec eux dans l’abîme.
Le rôle central de l’océan Austral
Situé au sud du monde, l’océan Austral agit comme un super-puits de carbone. Il absorbe jusqu’à 40 % du CO₂ d’origine humaine capté par les océans. Sauf que jusqu’ici, les modèles climatiques ne prenaient quasiment pas en compte les zooplanctons dans le calcul. Une sorte de trou noir scientifique que cette étude vient combler.
Et attention : ce mécanisme n’est pas figé. Le réchauffement climatique perturbe déjà la répartition des espèces. Le krill décline. Les copépodes dominent de plus en plus. Les sources de nourriture changent. En bref, ce système naturel de séquestration carbone pourrait muter, voire s’effondrer.
Les scientifiques ont cartographié comment les minuscules animaux marins – comme les copépodes, le krill et les salpes – contribuent chacun à la capture du carbone dans le sud de l’océan. Pour ça, ils ont découpé la carte en petits rectangles (des cases de 5° de latitude par 10° de longitude) et, dans chaque case, ils ont calculé :
- (a) combien de carbone est stocké grâce aux copépodes et autres petits crustacés (le mésozooplancton),
- (b) combien grâce au krill,
- (c) combien grâce aux salpes (des sortes de méduses transparentes),
- et (d) le total des trois groupes réunis.
Chaque point blanc sur la carte représente un endroit où des échantillons ont été prélevés (par des filets). Et la fameuse « pompe migratoire » correspond à ce que ces bestioles réussissent à envoyer comme carbone dans les profondeurs, en respirant et en mourant loin de la surface.
Ils ont aussi tracé les limites de la zone d’étude (l’océan Austral) ainsi que les profondeurs de 500 mètres, là où se joue l’essentiel du stockage de carbone.
Protéger les migrants… du fond marin
Comme le souligne Dr Guang Yang, principal auteur : "ces créatures sont des "héros méconnus" de la lutte climatique. Et pourtant, leurs habitats sont déjà menacés par la pêche industrielle et la fonte des glaces."
Ce n’est pas tous les jours qu’on découvre un puits de carbone gratuit, efficace et vieux comme le monde. Il serait peut-être temps d’arrêter de le vider pour en faire des gélules d’oméga-3.
Conclusion
On oublie trop souvent que la nature est pleine d’ingénieurs discrets. Le zooplancton en est un parfait exemple : il fait son taf. Pendant ce temps, nous construisons des machines à capturer le carbone qui coûtent une fortune, consomment de l’énergie pour moins de résultats.
Mais attention : cette "solution naturelle" est fragile. Et surtout, elle est silencieuse. Personne ne la défendra si elle disparaît. Elle n’a pas de voix. Elle n’a pas d’actions en bourse. Elle n’a pas de campagne de com’.
Si on ne prend pas en compte ce genre de processus dans nos modèles climatiques et nos décisions politiques, on navigue à vue.
Et pendant qu’on fantasme l’IA, les biotechs ou les geo-ingénieries… ce sont ces petits crustacés oubliés qui font le sale boulot pour nous.
Merci à elles
Sources : Guang Yang, Angus Atkinson, Evgeny A. Pakhomov, Katrin Schmidt, Weilei Wang, Jennifer J. Freer, Geraint A. Tarling. La migration saisonnière du zooplancton améliore fortement la séquestration du carbone dans l'océan Austral . Limnologie et océanographie , 2025 ; DOI : 10.1002/lno.70120
Vinz