Un pattern mondial et des conséquences locales
Une étude publiée le 4 juin 2025 dans Nature Ecology & Evolution, menée par des chercheurs de l’Université d’Umeå en collaboration avec l’Université de Reading, révèle un principe presque universel :
Dans chaque région du globe, la biodiversité s’organise autour de "points chauds", des zones minuscules mais vitales, où la majorité des espèces apparaissent et se concentrent, avant de se raréfier en s’éloignant.
On retrouve ce schéma partout : des océans aux forêts, chez les libellules, les raies, les arbres, les oiseaux, les amphibiens... même les mammifères y obéissent. Peu importe que ça vole, rampe, nage ou pousse avec des racines.
Un principe simple, mais implacable
Derrière cette organisation ? Un concept appelé filtrage environnemental. En gros :
Seules les espèces capables de tolérer les conditions locales s’installent et prospèrent.
Qu’il fasse chaud, froid, sec, salé ou même radioactif, la règle reste la même : la vie ne s’épanouit que là où elle le peut.
Ces noyaux de biodiversité sont comme des sources vitales. La vie y naît, s’y concentre, puis rayonne… en s’amenuisant peu à peu. Un peu comme quand on jette une pierre dans un lac calme : l’impact crée une onde à partir d'une impulsion comparable à un souffle de vie. Mais plus les cercles s’éloignent du centre, plus ils s’effacent. Et c'est ce moment qui est important ; détruire le centre nevralgique et tout s’arrête.
Pourquoi c’est une claque utile ?
Parce que cette règle donne un outil pratique, une boussole pour orienter nos politiques de préservation du vivant. Plutôt que de vouloir tout protéger partout (et donc nulle part vraiment) et au risque de dépenser beaucoup d'argents et de moyens inutilement dans un monde déjà contraint, on peut prioriser : protéger les noyaux pour permettre une régénération efficace.
Rubén Bernardo-Madrid, auteur principal, le dit sans détour :
“Ces noyaux offrent des conditions optimales pour la diversification des espèces.
Ce sont des zones où la vie se fabrique, se déploie, se transforme.”
José Luis Tella, de la station biologique de Doñana (Espagne), enfonce le clou :
“La sauvegarde de ces zones est essentielle. Elles sont notre meilleur pari pour préserver la biodiversité.”
Ce que cette étude dit aussi, c’est que la vie est prévisible.
Ce n’est pas une jungle chaotique. C’est un système, un échiquier avec des règles. Et dans un monde qui part en vrille, à mon sens toute règle universelle est une bonne nouvelle.
Joaquín Calatayud, un des co-auteurs, y voit même une lumière :
“Ce schéma nous aide à retracer comment la vie s’est diversifiée. Et surtout, il nous aide à prévoir comment elle va réagir aux crises climatiques à venir.”
Ce qu’on a vraiment découvert et pourquoi ça change la donne
Si vous êtes encore ici à lire cet article c'est que vous vous attendez à ce qu'on creuse d'avantage cette étude... Allons-y !
Cette règle est née d’une analyse massive de plus de 30 000 espèces réparties sur la planète : libellules, amphibiens, mammifères, arbres, oiseaux, raies… On parle ici d’organismes marins, terrestres, aériens, rampants ou enracinés. Et donc tous obéissent au même schéma.
Les scientifiques ont cartographié quatre dimensions-clés de la biodiversité (voir la figure ci-dessous) :
- La richesse (le nombre d’espèces présentes),
- L’étendue des aires de répartition,
- Le taux d’endémisme (espèces uniques à un endroit),
- Le chevauchement biogéographique (zones de mélange entre régions).
Résultat : en regroupant ces données à l’échelle mondiale, ils ont identifié 7 types de zones biogéographiques, qui se disposent en couches depuis un noyau central riche et endémique, vers des marges plus pauvres et plus généralistes. Une structure universelle baptisée : core-to-transition organization.
Le rôle du climat comme filtre
Était-ce dû au hasard ? À l’histoire géologique ? Non. Les chercheurs ont corrélé cette structure avec les données climatiques : température, précipitations, salinité… Résultat : dans 97 % des cas, chaque type de zone biogéographique correspond à un ensemble bien défini de conditions environnementales.
Ce n’est donc pas un hasard. Ce n’est pas une intuition. C’est un système de tri planétaire. Le climat agit comme un filtre fin, laissant passer certaines espèces, en bloquant d’autres. Et ce tri façonne littéralement la carte du vivant.
Ce graphique ci-dessus montre donc que les différents types de zones biogéographiques identifiés (les fameux "secteurs") correspondent à des conditions climatiques spécifiques. Chaque point ici représente une région et un groupe vivant, et le graphique nous dit si, oui ou non, la distribution des espèces peut s’expliquer par le climat (température, salinité, précipitations…)
L’effet poupée russe de la biodiversité
Autre point fascinant : la biodiversité ne varie pas comme un décor qui change, mais comme un motif qui se simplifie. Les zones périphériques ne présentent pas une faune différente, mais un sous-ensemble des espèces du noyau. C’est ce qu’on appelle la "nestedness", ou organisation en poupée russe.
Autrement dit : plus tu t’éloignes du centre, moins tu as d’espèces, et ce sont presque toujours les mêmes. Cette perte n’est pas une transformation, c’est une dilution.
Une boussole pour agir
Et là, accrochez-vous : dans chaque grande région du globe, 30 % du territoire concentre plus de 90 % des espèces. Ce sont les zones de vie maximale, les zones qui font le travail pour toutes les autres. Ce sont les moteurs de la biodiversité.
Les préserver, ce n’est pas symbolique. C’est mécanique. Tu protèges le noyau, tu sauves la dynamique. Tu le détruis ? Tu mets en pause l’expansion du vivant
Ce graphique montre trois barres pour chaque analyse :
- en bleu : l’influence de la taille du réservoir régional d’espèces (plus il y a d’espèces disponibles, plus on peut en avoir localement),
- en vert foncé : la part expliquée par la richesse des zones centrales (noyaux),
- en vert clair : la part expliquée par les espèces "non-caractéristiques", présentes un peu partout.
Et maintenant ?
Pendant longtemps, on a cru que la biodiversité était un chaos magnifique. Un puzzle géant dont on avait perdu le mode d'emploi.
Cette étude prouve l’inverse : il y a un plan, une règle presque gravée dans les couches du vivant, un schéma qui se répète de la forêt amazonienne aux récifs coralliens.
Et maintenant qu’on a ce plan ?
On peut l’ignorer, continuer à bétonner les noyaux de biodiversité comme des abrutis...
Ou on peut s’en servir. Le diffuser comme argument majeur à la prochaine COP sur la Biodiversité.
Pour préserver l’essentiel. Pour régénérer ce qui peut encore l’être.
Pour reconnaître, une bonne fois pour toutes, que la vie ne pousse pas au hasard. Elle pousse là où on lui laisse une chance.
Et ces zones-là, on les connaît désormais.
Plus d’excuse.
Sources : R. Bernardo-Madrid, M. González-Suárez, M. Rosvall, M. Rueda, E. Revilla, M. Carrete, JL Tella, J. Astigarraga, J. Calatayud. Une règle générale sur l'organisation de la biodiversité dans les régions biogéographiques de la Terre . Écologie de la nature et amp; Évolution , 2025 ; DOI : 10.1038/s41559-025-02724-5
Vinz